Voici un acte rencontré au hasard de mes recherches et qui raconte une histoire qui finit bien mal.
Nous sommes le samedi six juillet 1793. Quatre amis, Joseph Guérin, Etienne Perrin, Jean Simon et Thomas Regnier profitent de leur jour de repos pour se baigner dans le plan d’eau qu’on appelle le grand bassin de la fonderie. Ce plan d’eau est au Creusot, en Saône-et-Loire. Je devrais dire Le Creuzot puisque que l’orthographe actuelle n’est apparue qu’en 1853. En 1793, même si la fonderie n’est pas encore ce qu’elle deviendra sous les Schneider, quarante ans plus tard, elle est déjà active.
La ville n’a que 1545 habitants, alors qu’elle en aura plus de 38 000 au début du XXᵉ siècle. Cependant, elle est déjà le siège de la Fonderie Royale et de la Manufacture des Cristaux de la Reine. La Fonderie est la plus grande usine métallurgique d’Europe continentale. Elle est dotée de quatre hauts-fourneaux. L’usine occupe déjà 1 500 personnes.
La Manufacture des Cristaux de la Reine a été transférée de Sèvres au Creusot en 1786. Elle sera reprise par les cristalleries de Baccarat et Saint-Louis et fermera en 1832.
Mais en 1793, nos quatre amis sont employés à la Manufacture. Ils sont, tous les quatre, graveurs sur cristaux. C’est un travail de précision, mais également dangereux qui expose à de nombreuses maladies comme le saturnisme, l’anémie ou le cancer.
Ils profitent donc de leur temps libre pour se détendre dans le plan d’eau du Creusot.
Pendant ce temps, l’activité politique bat son plein. À Paris, le comité de Salut Public se réunit en secret. Au Creusot, c’est plus simplement l’équipe municipale qui est réunie autour du maire, François Augé.
Soudain, à dix-sept heures trente, la porte s’ouvre brutalement. On réclame le maire de façon urgente au grand bassin.
Il s’y précipite et à son arrivée, il rencontre trois de nos amis. Laissons-le raconter les événements en lisant un extrait de son procès-verbal.
Le Procès-verbal du Maire du Creusot
« Aujourd’huy, sixième jour du mois de juillet mil sept cent quatre-vingt-treize, l’an deuxième
de la République française, à cinq heures la demie du soir, la municipalité du Creusot, district
d’Autun, département de Saône-et-Loire, étant assemblée en permanence, a été requise de se
transporter près le grand bassin du canal inférieur de la fonderie dudit lieu, où étant arrivée,
ce sont présentés les citoyens Joseph Guérin, Etienne Perrin et Jean Simon, qui nous ont déclaré
sortir du bain, que Thomas Regnier, tailleur de cristaux, natif de la municipalité de [blanc],
département de la Moselle, avait également été avec eux se baigner, que ne voyant plus
ledit Regnier sur l’eau, ils se sont procuré un petit bateau, pour en faire la recherche, et
ce n’a été qu’après une heure et demie qu’ils l’ont retiré. En conséquence, nous avons dressé
procès-verbal de la situation dudit Thomas Regnier qui n’a donné aucun signe de vie
et l’avons de suite fait transporter dans la chambre qu’il habitait, pour après, recevoir
sa sépulture, conformément à la loi. »
La Noyade et un acte de décès inhabituel.
Le malheureux Thomas Regnier, s’est donc noyé et notre acte est bien un acte de décès. Il n’a été retrouvé par ses comparses qu’une heure et demie après sa disparition. Nous ignorons ce qui lui est arrivé, hydrocution ou éloignement excessif et épuisement…
Thomas venait de Moselle, nous ne savons pas de quel village puisque le Procès-Verbal laisse un blanc, fort regrettable, à cet endroit. L’acte de décès ne parle pas, non plus, d’épouse ou d’enfant. Il est d’ailleurs rédigé de façon très inhabituelle. Il n’est focalisé que sur le Procès-Verbal du maire. Il ignore la plupart des informations usuelles présentes sur un tel acte. Il est, de plus, rédigé par un conseiller général.
Aucun article de presse de l’époque ne m’a permis, non plus, d’y voir plus clair.
Il faudra probablement un autre hasard pour qu’un jour, en passant par la Lorraine, je croise un acte de naissance au nom de Thomas Regnier.
Si cela se produit, je vous en reparlerai, c’est promis.
Sources et Crédits :
Archives départementales de Saône-et-Loire. Cotes 1793-1802 Le Creusot-D-5E 153/2 Vol 2 p4/149 et 6Fi1418
Wikipédia
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