Nous sommes en mai. Le 8 mai 1945 est la date de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie.
C’est donc le moment de parler de cette guerre et de se souvenir de ses drames et des morts, militaires ou civils. En effet, elle a été caractérisée par une majorité de morts civils.
Mais qu’elle a donc été bizarre et compliquée cette guerre et qu’il est difficile d’en tirer des leçons.
Elle est le conflit armé le plus vaste que l’humanité ait connu. Elle a fait plus de soixante millions de morts.
La « drôle de guerre »
Elle a commencé par ce qu’on a appelé la « drôle de guerre ». Cette expression est attribuée à l’écrivain Roland Dorgelès. Au 1ᵉʳ septembre 1939, l’Allemagne nazie lance ses troupes sur la Pologne. En application des traités en vigueur, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre, mais se gardent bien d’aller aider la Pologne. La France est retranchée derrière la ligne Maginot. L’URSS, encore alliée à l’Allemagne, puisque c’est son intérêt à court terme, annexe les Pays-Baltes et une partie de la Pologne. Hitler mène une offensive limitée en Sarre. Puis, on s’observe. Il ne se passe presque plus rien jusqu’en mai 1940. La « drôle de guerre » a fait deux-mille morts dans les rangs français, un millier de marins anglais tués et environ deux-cents soldats allemands, en un peu plus de huit mois. Ce n’est rien comparé à ce qui va suivre et aux soixante millions à venir.
La « Blitzkrieg » ou la « Bataille de France »
Le 10 mai 1940, l’Allemagne lance son offensive sur le Luxembourg, les Pays-Bas et la Belgique, violant leur neutralité et contournant la ligne Maginot. Le Luxembourg est occupé en une journée. Les forces militaires des Pays-Bas se rendent au bout de cinq jours. Le 28 mai, c’est la reddition de l’armée belge après une résistance de dix-huit jours. La bataille de France débute et se termine par la signature de l’armistice du 22 juin 1940. L’armée française a été, pour l’essentiel, détruite entre le 10 mai et le 22 juin 1940, soit quarante-quatre jours de combats. Les effectifs de l’armée française passent de cinq millions cinq cent mille hommes en 1940 à vingt-cinq mille hommes en 1941 ! La France perd au combat cinquante-huit mille huit cent vingt-neuf hommes. Sur une durée équivalente de six semaines, le début de la première guerre mondiale avait fait plus de trois cent dix mille morts. En 1940, vingt-et-un mille civils sont tués également. L’Allemagne fait un million huit cent mille prisonniers, la plupart emmenés dans des camps, en Allemagne et en Pologne.
Nous connaissons la suite, avec l’armée française repliée dans les colonies, l’appel du Général de Gaulle, la Résistance et le débarquement américain en Normandie.
Cependant, numériquement, le soldat français de la seconde guerre mondiale est majoritairement un prisonnier de guerre.
Théodule
Voici l’histoire d’un de ces soldats.
Théodule est né le 31 mai 1901, à Buigny-les-Gamaches, dans la Somme. Il est le cinquième d’une adelphie de douze enfants. Le premier de ces enfants est une fille, Cécile. Le premier garçon, Adhélard, a été tué à l’ennemi en 1916, à Moulin-sous-Touvent, dans l’Oise. Il a eu la médaille militaire et la croix de guerre avec citations à l’ordre de l’unité et à l’ordre de l’armée. Il avait vingt ans. Les deux garçons suivants ont tous les deux participé au premier conflit mondial et ont survécu.
Théodule, par son âge, a échappé à cette guerre et passe le conseil de révision en 1921. Il est incorporé le 1ᵉʳ avril 1921 au 87ᵉ Régiment d’Artillerie lourde, puis au 166ᵉ Régiment d’Artillerie à pied. Il passe dans la disponibilité, le 1ᵉʳ avril 1923, et il est renvoyé dans ses foyers, à Buigny-les-Gamaches, certificat de bonne conduite accordé.
Le service militaire derrière lui, Théodule épouse, le 25 septembre 1933, à Aigneville, dans la Somme, Odette GREBONVAL. Elle est institutrice, il est employé de commerce.
Les premiers enfants arrivent rapidement, Jacques, un garçon d’abord, en 1935, puis Jacqueline en 1938.
Le 26 octobre 1938, comme père de deux enfants, suivant l’article 58 de la loi du 31 mars 1928, sa classe de mobilisation passe de 1921 à 1917, ce qui retardera d’autant son second appel sous les drapeaux.
Philippe, leur troisième enfant, pointe son nez en 1939. Et, le 27 septembre 1939, en vertu de la même loi, sa classe de mobilisation passe à 1915.
Mais, l’inéluctable finit par se produire. Théodule est rappelé à l’activité le 21 mars 1940. Il est affecté au dépôt mobilisateur d’infanterie 22. Et puis, comme pour beaucoup de soldats lors de cette guerre éclair, pendant laquelle l’organisation militaire a été disloquée, son Registre Matricule ne nous apprend plus rien. La bataille de France a eu lieu du 10 mai au 22 juin 1940. Il était aux premières loges.
Prisonnier de guerre
Pour retrouver la trace de Théodule après le 21 mars 1940, on se tourne vers deux documents. Le premier est une attestation, en allemand, signée du 15 avril 1941. Le second, un document du Centre de Démobilisation du Canton d’Amiens, signé du 23 juillet 1942.
Ces documents nous donnent une bonne continuité puisqu’il y est noté qu’au moment du dernier appel sous les drapeaux, il a rejoint le centre mobilisateur 22, en date du 21 mars 1940. Cette information est cohérente avec son Registre Matricule. Il est, par la suite, affecté comme voltigeur, au 131ᵉ Régiment d’Infanterie
Mais, comme pour tous les autres, sa guerre fût brève. Il est indiqué, à la suite, qu’il est fait prisonnier le 23 juin 1940, à Saint-Jodard, dans la Loire. Saint-Jodard est une commune, proche de Roanne, qui compte, à cette époque, un peu plus de six cents habitants.
Au camp de prisonniers, le Stalag III, Théodule, reçoit le N° d’immatriculation 54232.
Pendant ce temps, à la maison, la vie s’organise, et elle n’est pas facile. Odette est seule avec trois enfants, elle doit faire la classe tout en gérant les difficultés administratives et les tickets de rationnement imposés par les Allemands. Il faut détricoter les vieux pulls pour récupérer la laine, s’affairer au jardin pour espérer quelques légumes, griller l’orge pour remplacer le café. On met des bandes de caoutchouc sur les jantes des vélos pour remplacer les pneus. C’est l’époque de la débrouillardise et de la solidarité. Elle dispose de sa carte de priorité des mères qui l’aide un peu, mais Odette est épuisée. On voit à quel point en comparant les photos de la carte de priorité des mères et de son mariage, pourtant distantes de huit ans seulement.
Mais il faut tout de même penser au mari, prisonnier, et lui envoyer un colis avec une lettre, pour le rassurer, bien-sûr, un dessin des enfants, peut-être, mais aussi quelques biscuits, des fruits secs quand il y en a et tout ce qu’il est possible d’ajouter pour améliorer son quotidien. Théodule est autorisé à recevoir ce genre de colis, ce qui n’est pas le cas de tous les prisonniers.
Les colis sont tous les mêmes, d’où qu’ils proviennent. Pour éviter que, pendant son long voyage vers le camp, quelqu’un soit tenté de se servir à l’intérieur, il doit être inviolable. Tout au moins son ouverture doit laisser une trace et devenir dissuasive. Les colis sont donc entourés de tissu, cousu de toutes parts, sur lequel on écrit directement l’adresse à l’encre. C’est long et difficile, mais indispensable. Odette confectionne donc ces colis et note consciencieusement l’adresse :
HANOCQ Théodule
54232
STALAG VIII C
DEUTSCHLAND
(Allemagne)
Un morceau de tissu original est en tête de cet article. On y lit encore la peine et la souffrance.
Rapatrié !
Pour Théodule et Odette, les choses vont bientôt s’améliorer. Le document ci-dessous atteste la mise en congé du prisonnier pour reprise de son activité civile. Il va donc pouvoir rentrer chez lui, mais à quelques conditions.
Voici ce que dit ce document, sur la page de gauche (Recto) :
Attestation
1. Le prisonnier de guerre Hanocq Théodule 2ᵉ classe
né le 31.5.1901 à Buigny-les-Gamaches
Numéro matricule STALAG III N°54232
est dorénavant en congé pour reprendre son activité civile
à Buigny-les-Gamaches (Somme).
Il doit se présenter dans un délai d’un mois et muni du présent avis au
Front stalag 204 à Amiens
où il devra aussi rendre les vêtements de l’armée française qu’il détient encore.
2. Pendant son congé, il doit se présenter, une fois par mois,
à la Kreiskommandantur
d’Abbeville en présentant cette attestation.
Au cas où le prisonnier de guerre ne se présenterait pas, son congé serait annulé.
Le prisonnier s’engage à n’entreprendre aucune action hostile contre
l’Allemagne et la Wehrmacht. Le congé est donné jusqu’à nouvel ordre.
Le prisonnier est dans l’obligation de retourner au Frontstalag 204
d’Amiens sur injonction de l’armée allemande.
Le document est signé, à la fois par l’autorité allemande et par le prisonnier de guerre. On y trouve également un cachet des Chemins de Fer du Nord, de la gare de Longroy-Gamaches, daté du 19 avril 1941 attestant probablement l’arrivée de Théodule, à destination, à cette date.
Sur la page de droite, on trouve, en haut, à gauche, mention de son enregistrement au Front stalag 204 d’Amiens en date du 19 avril 1941.
Au centre on a six cachets indiquant six présentations à la Kommandantur d’Abbeville, en date des 21 avril, 7 mai, 4 juin, 2 juillet, 6 août et 6 décembre de l’année 1941. On note un trou entre le 6 août et le 6 décembre.
En haut, à droite, deuxième paragraphe, il est indiqué qu’il s’est déclaré le 6 septembre 1941 et qu’il doit le faire à nouveau le 6 décembre. Ceci explique le trou entre août et décembre.
On n’a pas trace de présentation à Abbeville, ou ailleurs, sur le début de l’année 1942, mais tout en haut, à droite de cette seconde page, on a la mention ci-dessous qui nous éclaire sur la suite des événements :
« Médicalement à démobiliser. Démobilisé provisoirement à Amiens le 23 juillet 1942. Fait à Châlons-sur-Marne«
Cette mention nous envoie directement au document suivant qui est le document du centre de démobilisation du Canton d’Amiens, que nous avons déjà utilisé plus haut, pour comprendre les événements de juin 1940.
Outre ces événements, on y apprend que Théodule était cultivateur, à Buigny-les-Gamaches, avant les hostilités, qu’il a trois enfants et qu’il aura du travail, chez lui, à son retour.
Théodule y déclare avoir reçu un costume civil. Il est également noté, en bas, à droite, qu’il a perçu une indemnité forfaitaire de cent vingt francs, qui est probablement sa prime de démobilisation.
Théodule va continuer de se déclarer régulièrement, à Gamaches, qui est beaucoup plus près de chez lui, et non plus à Abbeville. On a trace de ces déclarations en août et novembre 1942, puis en janvier, avril, juillet et octobre 1943. En 1944 on a des déclarations en janvier, avril et juillet, puis plus rien. Mais la fin de la guerre approche et les allemands ont probablement d’autres chats à fouetter !
La vie reprend son cours…
Théodule est donc rentré chez lui en avril 1941. Il y a retrouvé Odette et ses trois enfants. Sa démobilisation, en juillet 1942, a allégé considérablement le contrôle effectué par les occupants. Il a pu, dès lors, se refaire une santé et s’occuper de sa famille en soulageant Odette, qui maintenant, n’est plus seule.
Comme pour se rassurer et se convaincre que la vie a repris ses droits, Odette et Théodule vont donner naissance à leur quatrième et dernier enfant en août 1943.
La guerre va se terminer. Théodule sera toujours présent aux réunions des Anciens Combattants et Prisonniers de Guerre, il ne manquera pas de cérémonie aux monuments aux morts, ni d’inhumation d’un de ces anciens combattants.
Il ne parlera jamais beaucoup de son année de prisonnier dans les camps, mais…
Théodule et Odette vont marier leurs enfants, voir leurs petits-enfants et nous quitter en 1979 et 1984 après une vie bien difficile, comme la plupart de celles de cette génération.
Excellent article, très bien documenté. Merci
Merci merci Cousin Gleude !
J’ai appris (et compris !!!) tellement de choses grâce à ton superbe article !
Ne t’arrête jamais !
Merci Hélène, toi, ne t’arrête jamais de commenter 😉
Cousin Gleude
C’est toujours avec beaucoup de plaisir et d’intérêt que je lis des petits bouts d’histoire de nos aïeux.
Merci à toi notre cousin de nous faire partager tes recherches et bravo pour tout ce travail fourni.
Merci Nathalie pour ce gentil commentaire. C’est très encourageant et renforce mon envie de continuer à illustrer mes recherches généalogiques en alimentant ce blog. Rendez-vous en août ! 😉