Le Vimeu est considéré comme le berceau de la serrurerie en France. Quatre siècles de savoir-faire qui s’est transmis de génération en génération. C’est là, en effet, entre Bresle et Somme, que la serrurerie a commencé à se développer en France au XVIIᵉ. De grands noms de la serrurerie sont toujours implantés dans la région, mais il faut remonter le temps pour comprendre les origines de ce savoir-faire.
Le Vimeu et la baie de Somme
Au sud de la baie de Somme, à l’extrémité ouest de la Picardie, il est un pays, en partie fait de « Bas-Champs » gagnés sur la mer, en partie fait de bocages et de prairies, dur et rigoureux, balayé par les vents d’ouest et du nord. Il a façonné une race d’hommes et de femmes, durs au mal, tenaces, parfois entêtés, ingénieux, travailleurs et malicieux.
Ce pays est le Vimeu. Il tire son nom de celui de la rivière « Vimeuse », longue de seize kilomètres, qui se jette dans la Bresle à la hauteur de Gamaches.
Ce terme serait issu du latin Viminis : roseaux, bois flexible ou d’un mot picard : Vimaus, Vimois, Vimais, certainement issu de la même racine latine, qui signifie oseraie. Ces deux hypothèses sont cohérentes pour nous éclairer sur le nom de la Vimeuse, qui signifie donc : rivière aux joncs, et le Vimeu serait « le pays de la rivière aux joncs ».
Le Vimeu est un losange de terre, dont les frontières nord-est et sud-ouest sont les vallées de la Somme et de la Bresle, et dont les frontières nord-ouest et sud-est sont la côte de la Manche et la route d’Abbeville à Blangy-sur-Bresle.
C’est un pays où la vie est difficile, depuis toujours, mais qui bénéficie de nombreux atouts. Le premier d’entre eux est la baie de Somme, cette ouverture sur le monde, qui est un carrefour commercial depuis l’Antiquité. Le deuxième est double. Il s’agit des forêts, de Crécy, au nord et d’Eu, au sud. Elles fournissent le pays en bois, indispensable combustible pour l’industrie. Enfin, le troisième est la proximité de grandes villes comme Amiens, Rouen et Paris, qui offrent des débouchés important à l’activité économique de la région. Le plus célèbre emblème de ces liens économiques est le chasse-marée, ce convoi quotidien de poisson frais, de la baie de Somme vers Paris.
Les origines ancestrales de la serrurerie du Vimeu
Les habitants du Vimeu ont dû, très tôt, apprendre à se défendre des envahisseurs et des bandes armées, à commencer par les Vikings attirés par les estuaires de la Somme et de la Bresle. Ils ont dû maîtriser le travail du métal et apprendre à forger des armes. Dès le VIᵉ, la Somme, de la baie vers l’intérieur du pays, est un axe du commerce du métal.
Le Vimeu est un pays de paysans et de journaliers. Pour occuper leur temps l’hiver et s’assurer un petit pécule, les habitants de ce petit territoire picard, forgent le fer et petit à petit, ils commencent à fabriquer des serrures.
Peu à peu, la maîtrise s’affine et le travail se précise. On ne met pas une demi-heure pour fabriquer une serrure, mais dix jours, parfois deux mois.
La première mention du métier de serrurier dans l’état civil, nous vient d’un acte de baptême de 1601, à Friville-Escarbotin.
Transcription :
L’année de mil six cent et un
Le 27ème de Janvier, an susdit, a été baptisée, Jehanne
Boutté, fille de Jehan Boutté, serrurier, et Claudine [Nom manquant], sa mère.
Les marraines, Jehanne Beauvisage et Barbe Boutté, les parrains, Jehan
De Labye et Nicolas Boutté.
Un artisanat florissant
Serrurier devient un métier noble. L’appellation exacte est d’ailleurs « Maître serrurier ». Le travail dans les boutiques du Vimeu s’organise parfois avec un maître, des compagnons, des apprentis et des commis, mais le plus souvent, l’atelier est familial et l’épouse du maître y travaille aussi. L’apprentissage des enfants commence à douze ans et dure quatre à cinq ans, car les compétences à acquérir sont nombreuses. La boutique est donc aussi un lieu de la transmission des savoirs.
L’artisanat se développe et devient florissant, et c’est Louis XIV qui, pour équiper le château de Versailles, devient le premier gros client du Vimeu. Versailles, ce sont des milliers et des dizaines de milliers de serrures. Les marchands de serrures cherchent alors une main d’œuvre qualifiée qu’ils trouvent chez les paysans du Vimeu. La consommation parisienne en serrures est d’autant plus forte que la capitale est le lieu d’une redistribution vers les autres villes du royaume.
Les Maîtres Serruriers prennent l’habitude, quand ils ne savent pas signer, d’indiquer leur profession dans la marque qu’ils apposent en bas des actes d’état civil. En témoigne, l’acte de mariage ci-dessous. Il est daté de 1695, et les marques de l’époux et de l’épouse sont une clef et une croix, plus classique.
Transcription :
1 Le sixième jour d’Août 1695, après les fiançailles et la publica-
tion du mariage d’entre Joseph Boutté et Louise Lavoisien, tous deux
de cette paroisse. Ils se sont épousé en face de l’église et ont reçu la
bénédiction du mariage du soussigné curé de ce lieu, en la présence
5 d’Etienne Boutté, frère, Charles Boutté, oncle du dit marié
et Jean Lavoisien, père, et Jean Lavoisien, frère d’icelle Lavoisien,
[mot rayé] épouse.
Marque des dits époux et épouse
Clef Croix
Etienne Boutté qui ont dit ne savoir écrire
L’essor de l’industrie de la serrure
Au XVIIIᵉ, de nouvelles techniques apparaissent. Les ateliers s’agrandissent. On y fabrique des serrures de portail, de portes cochères et des verrous. La production est très variée et devient plus complexe. La nouveauté, ce sont les serrures d’armoires et de tiroirs. Chaque village a sa spécialité.
On fabrique des clés à Dargnies, des cadenas à Fressenneville, des coffres et des coffres-forts à Feuquières-en-Vimeu. De la spécialisation vient l’habileté ainsi qu’une recherche constante de perfectionnement par les ouvriers. Le Vimeu acquiert ainsi une grande renommée.
Peu à peu, au début du XIXᵉ, les machines-outils remplacent l’homme. Dans quelques centres, les ateliers grandissent et réunissent un nombre de plus en plus important d’ouvriers.
On voit clairement l’impact de ce développement sur la population d’un village comme Dargnies, par exemple, spécialisé dans les clefs.
La population de la commune passe de 250 personnes en 1690, à 306, en 1726, puis s’élève à 358 en 1772 et 518 en 1800. De 1800 à 1906, la population de Dargnies continue de croitre pour atteindre 1365 unités en fin de période.
Des entreprises familiales multiséculaires
Aujourd’hui, il reste de nombreuses entreprises, familiales, parfois rachetées par de grands groupes, qui fabriquent encore des serrures, mais aussi de la robinetterie, diversification du travail du métal.
Les grands noms de ces industries sont DECAYEUX, THIRAD, DEVISMES, FORESTIER, COUILLET, TIRARD, DEBEAURAIN, DELABIE, GRANDSIRE, SAINT-GERMAIN, DAVERGNE, BOUTTE, LENNE, RIQUIER,…
Que ceux que j’oublie me pardonnent.
Ces entreprises emploient plus de six mille personnes.
On retrouve ces patronymes tout le long de l’état civil des communes du Vimeu, à travers le temps. Ces entreprises sont les héritiers de ces petits artisans, ingénieux et travailleurs qui ont alimenté la France en serrures pendant des siècles.
Sources et crédits :
« Ouvert, Fermé » de Jean-Mary THOMAS
« La Serrurerie du Vimeu : Histoire locale de la fabrication de « choses banales » entre XVIe ET XVIIIe Siècle » de Pascal BRIOIST, Maître de conférences en histoire à l’Université de TOURS.
« Lexique picard du Cleftier de Dargnies » de Gaston VASSEUR & Armel DEPOILLY
Archives Départementales de la Somme