« Crépy était un bourg d’un peu plus de quatre cents habitants, d’une taille équivalente à Beaumetz.
Maximilien arrivait de Lisbourg, il traversa d’abord Papegay qui était la rue principale du village, sur laquelle on dressait tous les ans, à la fête du village, le mât qui permettait de s’exercer au tir à l’arc sur un oiseau en bois qu’on appelait le Papegay. C’est ce qui avait donné son nom à la rue. »
Ce texte est extrait de « La Croisée des chemins« , roman généalogique publié en 2020. L’action se déroule à Crépy, petit village du Pas-de-Calais, au milieu du XIXᵉ siècle. À cette époque, Crépy compte soixante-neuf maisons, dont vingt-quatre sur Papegay.
L’écriture de ce roman fût ma première rencontre avec le Papegay. Cette rue ne s’est pas toujours nommée ainsi et s’appelle autrement aujourd’hui. Après avoir étudié l’évolution de son nom à travers le temps, grâce au cadastre Napoléonien et aux échanges avec le maire du village, je me suis, naturellement, intéressé aux origines de ce jeu.
Évolution du nom des rues de Crépy (62)
Cartes réalisées par l’auteur, à partir d’un fond de carte Google Maps
Les plans de Crépy, ci-contre, montrent bien que la rue principale, nommée « Rue de Fruges à Saint-Pol » en 1831, est rebaptisée « Papegay » en 1851. Aujourd’hui, elle s’appelle simplement « Route principale ». C’est la Route Départementale D343.
Quelles sont donc les raisons de ce changement entre 1831 et 1851 ?
C’est, peut-être, dans l’histoire du Papegay et de ses traditions que se trouve la réponse…
Cette histoire a commencé il y a bien longtemps, bien avant que soient écrites les romans racontant la légende du Roi Arthur, qui pourtant l’influenceront.
Histoire du Papegay
Le jeu du tir à l’oiseau
Au Moyen Âge, se pratiquait, chaque année, un jeu du « tir à l’oiseau » également appelé, le « tir du Roy ». Ce jeu se pratiquait, en général au printemps, à la Saint-Sébastien.
Selon un récit du Vᵉ siècle, le saint survit miraculeusement à sa sagittation (criblage de flèches) ordonnée par Dioclétien. C’est ainsi que Saint-Sébastien est devenu le saint patron des archers.
On accroche en haut d’un mât, d’une longue perche, à la cime d’un arbre ou au sommet d’une tour une cible, représentant un volatile, souvent un coq, une poule ou un pigeon. Le jeu consiste, à tirer à l’arc ou à l’arbalète, sur cette cible. Ce jeu est organisé par les confréries d’archers, d’arbalétriers, puis d’arquebusiers. Ils établissent l’ordre de tir. Tire d’abord, l’Empereur. On devenait Empereur si on avait gagné le jeu les trois années précédentes. En l’absence d’Empereur, le Roy, c’est-à-dire le vainqueur de l’année précédente, tirera le premier. Ensuite viennent le capitaine, les officiers, puis les chevaliers par ordre d’ancienneté. Enfin les archers, les arbalétriers puis les arquebusiers, tirent les derniers, toujours par ordre d’ancienneté.
Le vainqueur du tournoi, considéré comme un héros, reçoit le titre de « Roy », ou même d’ « Empereur ». Il a le droit de représenter la confrérie au cours de l’année suivante et en a tous les honneurs. Plus encore, il reçoit le « joyau du Roy », souvent une timbale gravée à son nom. Enfin, il bénéficie en plus d’exemptions en matière d’impôts, notamment sur le vin, exemption qu’on appelle le droit de Papegay.
Bon à savoir :
C’est très probablement à cette tradition que nous devons une des origines du patronyme LEROY et de ses dérivés.
Les Origines
Les origines de ce jeu médiéval se trouvent dans l’existence des gardes que mettent en place les habitants des villes et des villages au Moyen Âge. Les villageois constituent alors des milices bourgeoises pour se protéger des incursions de bandes armées. Cet exercice de tir constitue un excellent entraînement.
Le Moyen Âge, époque de grande insécurité, est une période d’expansion forte de ce jeu, mais il semblerait qu’on trouve des documents l’attestant qui datent du IXᵉ siècle.
Dès le XVe siècle, on le trouve en usage dans la plupart des provinces de France.
Mais pourquoi le Papegay ?
Le papegai, papegay, papegeai, papegail, papegau ou papegault, selon les régions, est un mot en ancien français qui désigne un oiseau apparenté au perroquet. Le mot viendrait du grec papagás, lui-même issu de l’arabe babaḡāʾ.
Au Moyen Âge, on voit le remplacement des poules et des coqs, au bout d’un mât, par des perroquets. La figure du Papegay est en vogue en Europe dès le XIIIe siècle. Dans un des romans arthuriens, intitulé « le Conte du Papegau« , le Roi Arthur, juste après son couronnement, abandonne le dragon dans ses armoiries pour le remplacer par un perroquet.
Le « Chevalier au papegau » est un récit médiéval anonyme daté de la fin du XIVe siècle ou du début du XVe siècle. C’est un roman tardif de la légende arthurienne rédigé en prose et en vieux français. Il relate les aventures du Roi Arthur, représenté sous les traits d’un chevalier errant avec un fidèle compagnon ailé, le papegau.
Au XVIᵉ siècle, Pierre de Ronsard (1524-1585) et François Rabelais ne sont pas en reste :
Pierre de Ronsard (1524-1585) :
« Quand le printemps poussoit l’herbe nouvelle
Qui de couleurs se faisoit aussi belle
Qu’est la couleur d’un gaillard papegay
Bleu, per, gris, jaune, incarnat et vert-gay. »
François Rabelais (1483/1494-1553) :
« Gargantua jouait aussi à la grosse pelote, il luctait, courait, saultait, il tirait au papegay, et trouvait encore le temps de tâter de la balle ou de la paume. »
Un jeu encouragé par les autorités
Des ordonnances ducales rendues en 1407 et 1471, ainsi que la lettre patente du roi Charles IX de décembre 1573 relative aux droits du jeu de l’arquebuse et arbalète, ont accordé à celui qui abattrait le Papegay l’affranchissement des tailles, aides, dons, emprunts, etc.
Ce jeu est donc favorisé par les rois de France. En effet, en développant l’émulation entre archers et arbalétriers (puis arquebusiers…) il permet de maintenir partout la présence d’hommes habiles pouvant être utiles en cas de guerre. Chaque année, le Roi du Papegay bénéficie de l’honneur et de la renommée, mais aussi de privilèges fiscaux et notamment de la possibilité de vendre l’équivalent de plusieurs milliers de litres de vin hors taxes.
Le jeu du Papegay disparait au cours du XVIIIe siècle. Il y a plusieurs raisons à cela. La fin des troubles entre seigneurs et des razzias de bandes armées, en est une. La constitution de compagnies de maréchaussée composées de gens d’armes, dénommés sous l’Ancien Régime gendarmes, en est une autre. Enfin, la fin des privilèges accordés au vainqueur de ce jeu d’adresse a certainement fait baisser la motivation des participants.
À l’issue de la Révolution française, ce jeu ne se pratiquait presque plus.
Le renouveau
Au XIXᵉ siècle, ce sont les associations de tireurs qui continuent à organiser des concours de tirs. Incorporées dans les tissus bourgeois et aristocratiques locaux, ces associations perdent leur couleur militaire pour jouer le rôle de creuset pour les relations sociales et pratiques sportives. Les membres de ces associations tirent toujours sur le Papegay, un peu partout en France et en Belgique.
C’est à ce renouveau associatif et culturel que nous devons probablement une période d’engouement pour ce jeu à Crépy, au milieu du XIXᵉ siècle et donc, probablement, l’évolution de ses noms de rues.
Au XXᵉ siècle, si l’activité associative et culturelle perdure autour du tir au Papegay, le tir à l’arc sportif, son descendant direct, voit le jour et prend de plus en plus d’importance. Il devient même sport olympique dès la deuxième olympiade des jeux modernes, en 1900.
Sport Olympique
Le tir à l’arc a donc fait sa première apparition lors des Jeux Olympiques d’été de 1900. Absent du programme de 1924 à 1968, il est réintroduit à l’occasion des Jeux de 1972 à Munich.
La tradition est toujours là puisque aux Jeux de 1920, quelques épreuves, dignes héritières du Papegay, auront lieu. Il y aura, en effet, des épreuves de tirs à la perche sur petits oiseaux et sur gros oiseaux, en individuel et par équipe.
Les épreuves de tir à l’arc ont été disputées lors de seize éditions des Jeux Olympiques.
Quatre-vingt-douze nations ont déjà pris part à l’épreuve.
La France apparait le plus souvent avec quatorze participations.
Si depuis 1972, au tableau des médailles, la France fait pâle figure, avec seulement une médaille de chaque couleur, soit trois au total, l’histoire est différente si on inclut les quatre premières olympiades.
Le pays maître incontesté de cette discipline est, aujourd’hui, la Corée du Sud avec quarante-trois médailles. Mais la France, en partant de 1900, est à une honorable quatrième place au tableau, avec vingt-cinq médailles. Elle est juste derrière la Belgique, troisième, mais absente du palmarès depuis 1972.
Ces résultats montrent la vitalité culturelle de ce sport, héritier du Papegay, dans le nord de la France et en Flandres au début du XXᵉ siècle.
Les champions français
Les champions français de ces premières olympiades sont Julien Brulé avec cinq médailles, Léonce Quentin avec quatre médailles et Eugène Grisot avec quatre médailles également.
Julien Brulé est né le trente avril 1875 à Avilly-Saint-Léonard dans l’Oise et décédé le vingt-cinq juin 1928 à Précy-sur-Oise. Il a obtenu une médaille d’or, trois d’argent et une de bronze aux Jeux d’Anvers en 1920.
Léonce Quentin est né le seize février 1880 à Chartres et décédé le premier décembre 1957 à Vincennes. Il a obtenu trois médailles d’argent et une de bronze, aux Jeux d’Anvers en 1920. Il est co-fondateur de la Fédération Internationale de Tir à l’Arc.
Eugène Grisot est né le dix-neuf décembre 1866 à Fretigny-et-Velloreille, en Haute-Saône et décédé le deux mai 1936 à Paris. Il a obtenu une médaille d’or aux Jeux de Londres en 1908 (Photo), deux médailles d’argent et une de bronze aux Jeux d’Anvers en 1920.
Notre dernière médaille d’or remonte aux Jeux de Barcelone en 1992 avec Sébastien Flute, quatre-vingt-quatre ans après Eugène Grisot. Notre dernière médaille (argent), remonte aux Jeux de Rio en 2016, avec Jean-Charles Valladont. Tout cela est bien ancien ou bien peu, mais Paris 2024 sera peut-être l’olympiade du renouveau pour le tir à l’Arc Français. Qui sait ?
Lien utile :
https://www.thebookedition.com/fr/la-croisee-des-chemins-p-377184.html